Le Phare de Saint-Mathieu

Située dans l’enceinte de l’abbaye, la tour blanche élancée s’élève à  36 mètres de hauteur.L’image contient peut-être : ciel et plein air

Construit en 1835, le phare remplaça un feu que les moines avaient entretenu pendant des siècles au sommet de la grosse tour carrée édifiée près de l’église.

Les navigateurs reconnaissent le phare de nuit à son feu à éclipses. Toutes les trente secondes, le pinceau lumineux de la lanterne balaie silencieusement la mer et fait surgir de l’ombre les maisons des alentours.

Un peu d’histoire

Le phare de saint Mathieu a été inauguré le 15 juillet 1835. c’est un monument vénérable. Pourtant, plusieurs siècles auparavant, un fanal brillait parfois, quand les nuits d’hiver étaient les plus noires, sur la haute tour de l’abbaye.

La Pointe saint Mathieu a en effet toujours été un repère majeur pour la navigation sur le proche Atlantique.

Lieu de péril mais aussi de retour à l’espoir pour les navires perdus, elle ne partage cet honneur qu’avec de rares  » extrémités du monde » de notre continent :

  • Le Cap Saint Vincent à  la corne sud-ouest du Portugal ;
  • Le cap Finistere à  l’angle Nord-Ouest de l’Espagne ;
  • Nos deux « Bouts du Monde » bretons : la pointe du Raz et saint-Mathieu ;
  • Land’s End en Cornouaille anglaise ;

si, à ces cinq là, on ajoute Penmarc’h et le cap de la Hague, on a fait le tour de tous les points de passage obligé jalonnant la grand-route océanique séculaire qui relie la Méditerranée à la Baltique, Bordeaux à  Londres, Gijon ou Santander à  Anvers, Gênes à Hambourg.

Saint Mathieu n’est pas uniquement une borne sur cette grand-route ; c’est aussi un carrefour. Depuis que Colbert a établi en Penfeld la base principale de la Marine Royale, l’axe Nord-Sud y coupe un axe Est-Ouest de Brest vers le large. Complétons le tableau en ajoutant à  ce carrefour « horizontal » la dimension verticale qu’apporte la présence, depuis le Haut Moyen Age, d’un monastère bénédictin : nous comprenons alors ce que notre pointe Saint Mathieu a de tout à  fait original et unique. La mer, la guerre et la foi : la haute tour carrée de l’abbaye est à la fois un clocher, un donjon et un amer.

Il était naturel que l’on veuille y placer un fanal pour le rendre repérable de nuit. Dès le XVè siècle on aurait essayé d’équiper la pointe saint Mathieu d’un feu brûlant au sommet de la tour ; mais pour des raisons sans doute autant politiques que techniques cette tentative n’eut pas de suite. Il fallut attendre le Grand siècle pour que le fanal ait une existence attestée et durable.

De 1696 à  1835, pendant 140 ans un feu d’éclairage brilla au sommet du clocher de l’abbaye, avec bien des pannes des difficultés, des interruptions de service : aléas de la technique, de l’économie, de la politique, négligences et jalousies. La chronologie de ce siècle et demi d’histoire nous donne un aperçu de tout cela.

1691 c’est la guerre de la Ligne d’Augsbourg. La France de Louis XIV affronte seule l’Europe coalisée par Guillaume d’Orange, stathouder de Hollande et Roi d’Angleterre. Notre côte est plus qu’une frontière, c’est un « front » au sens militaire du mot. La Marine Royale doit faire face aux Marines réunies de l’Angleterre et des Provinces-Unies.

L’Inspecteur Général de la Marine en Bretagne, des Grassières propose d’aménager le clocher de l’abbaye de Saint Mathieu pour y placer un fanal brûlant du charbon de terre. Le projet est adopté.

1692 ce premier phare est mis en service en Septembre. Deux mois auparavant notre Marine a subi un grave revers à  la Hougue sur la côte normande (non loin de celle plage qu’on appellera 150 ans plus tard « UTAH BEACH ». Mais la guerre sur mer continue.

1696 Le fanal n’est allumé que lorsque les vaisseaux du Roi sont dehors : cela se comprend puisque nous sommes toujours en guerre contre les deux grandes puissances navales d’Europe désormais maîtresses des mers.

Mais le fonctionnement du feu, quand il est allumé, n’est pas satisfaisant : ce gros brasero se voit mal de loin, et fait courir un grave risque d’incendie aux charpentes de l’abbaye. On le remplace par une grande lanterne vitrée abritant 15 lampes à  huile disposées en trois étages.

Une contestation s’élève entre l’Etat (« Intendant de Brest) et les moines, à  propos des coûts charges et nuisances de ce fanal. L’intendant Desclouzeaux fait rogner de près de moitié le montant de la dépense évalué par les Révérends Pères.

1712 Le traité de Ryswick a mis fin à  la guerre en 1697 mais la paix n’a duré que 4 ans !

Depuis 1701 la France est engagée dans la Guerre de Succession d’Espagne. Epuisée, écrasée de malheurs, de taxes, de famines, elle tient une fois encore tête à  toute l’Europe. En Juillet de cette année 1712 elle va retrouver à Denain le chemin de la victoire et la paix reviendra les années suivantes (traités d’Utrecht et de Rastatt).

Mais en Février, au plus noir de la guerre, l’intendant de Brest évalue dans un mémoire les dépenses à  prévoir pour l’entretien du feu de Saint-Mathieu. La consommation dépasse de beaucoup celle qui était prévue en 1696. Pour l’huile (huile d’olive, la seule qui ne fume pas !), par exemple, on compte 180 pots par mois au lieu de 30, soit 6 fois plus ; et on retrouve la même proportion pour les autres menues dépenses.

Cela laisse à penser que le dispositif technique avait déjà été remplacé par un ensemble plus puissant, peut être déjà  le fanal de 60 lampes attesté au siècle suivant.

1750 La lanterne est abattue par un fort coup de vent, reconstruite, ses armatures renforcées.

1773 Une nouvelle installation techniquement très améliorée est mise en place sous l’impulsion du Cdt Thévenard. Elle va rester en place pendant toutes les guerres de la Révolution et de l’Empire.

1812 En avril 1812, l’Empire napoléonien est au sommet de sa puissance et de son étendue… et si près de sa chute ! Dans deux mois, la Grande Armée va s’engager dans la désastreuse campagne de Russie. Depuis Trafalgar (oct. 1805) la mer est totalement anglaise. Et cependant, en Avril, un échange de lettres entre le sous-préfet de Brest et le Maire du Conquet nous prouve que l’Etat se soucie encore de l’entretien du fanal.

L’abbaye de Saint Mathieu est alors abandonnée et en ruine. Les bâtiments conventuels ont été vendus et rasés. Seule désormais se dresse la vieille tour et, au sommet, la lanterne. Le feu se compose de 60 lampes à  huile en fer blanc avec réverbères paraboliques (ou « concaves » émet prudemment le Maire du Conquet peu féru en optique !). De nombreuses vitres sont cassées. Il pleut dans la chambre haute et la pluie coule de là  dans la soute aux huiles (on accuse le génie d’avoir démonté les ardoises pour couvrir les abris des sémaphoristes). La girouette qui sert de cheminée est trop haute et coincée : la fumée stagne dans la lanterne. En somme,… ca manque d’entretien !

1820 C’est la Restauration, et la paix. L’ingénieur Fresnel bouleverse les données techniques du fonctionnement des phares. Quelques améliorations sont apportées au fanal sur la vieille tour mais déjà ce support parait inadapté.

1830 Le principe de la construction d’un grand phare neuf, à quelques mètres de l’ancien, est retenu. Cela exige l’arasement de tout obstacle dans le champ du nouveau feu, et la vieille tour doit être abattue, réduite à mi-hauteur. Les vignettes ci-dessous nous donnent une idée de ce qu’elle était alors, seule au milieu des ruines, avec la grande lanterne au milieu.

En 1835, le nouveau phare est inauguré, à  côté du moignon de ce qui fut à  la fois 

  • un clocher, signe de foi, de prière, de ralliement des pèlerins 
  • un donjon, signe de la position dangereuse et aventurée de cette pointe, sur une côte-frontière entre deux puissances constamment en guerre
  • un phare éclairant un des plus grands carrefours maritimes du monde.

Cette triple fonction ne symbolise-t-elle pas toute l’Histoire de Saint-Mathieu

Avec l’aimable autorisation du Cercle d’Histoire Locale de Plougouvelin

Sources et bibliographie

– Phares du Ponant – Daniel Collet (Skol Vreizh)

– Cahiers de l’Iroise n° 164 ( Société d’Etudes)

– Archives du Génie (S° Historique – Vincennes)

– Archives Municipales du Conquet.

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